Les amateurs de course cycliste connaissent Gianni Marcarini comme le loup blanc. Ceux qui n'ont jamais vu son visage connaissent son commerce de maillots. Et même ceux qui ne sont jamais passés devant son stand connaissent son nom pour l'avoir aperçu au détour d'une page, dans un magazine qui pourtant ne mentionne plus depuis longtemps ses exploits sportifs.
Le cycliste du dimanche s'habillait comme les pros
Présence de chair et d'os, ou présence subliminale dans l'esprit des cyclistes, Gianni est partout, depuis toujours. L'homme, qui fêtera ses 80 ans à l'arrivée du printemps (le 15 mars), totalise toujours ses cent mille bornes par an au volant d'une camionnette chargée de cartons de fringues. Il n'est à la maison « que l'hiver et le 1er mai ». Et encore s'y occupe-t-il à réparer des boyaux.
Infatigable, il ne peut pas décrocher. Éloigné des courses cyclistes, il se sent comme une carpe sur la berge. Des soubresauts le rejettent à l'eau, dans le grand bain des courses. Tour de France, Tour d'Italie, Tour d'Espagne, Classiques, Championnats mondiaux ou régionaux, il n'est bien qu'à proximité des pelotons.
Sur l'aire de départ ou d'arrivée, il gare son petit bahut et il déballe ses merveilles. Il déploie ses longs tréteaux et ses parasols, puis il étale et accroche sur leurs cintres des dizaines de maillots multicolores. Assis sur sa chaise pliante derrière ce rideau aux couleurs du peloton professionnel d'hier et d'aujourd'hui, il ressemble à une diseuse de bonne aventure.
Un des pionniers de la vente par correspondance
Gianni vend de la bonneterie cycliste depuis 1975, année où il cessa d'être coureur. Les pages de publicité étant « hors de prix », il fit passer dans « Miroir du Cyclisme » et « Vélo Magazine » de minuscules huitièmes de pages : sa grille de tarifs et son adresse, rien d'autre. Ainsi devint-il un des pionniers de la vente par correspondance. C'est donc à lui que nous devons ces pelotons de silhouettes un peu dodues, déferlant sur les campagnes en maillot et casquette Z ou Renault, cuissard Gan et chaussettes Brioches La Boulangère.
Jusqu'à une époque assez récente, le cycliste du dimanche ne rêvait que de s'habiller comme les pros. « Mais c'est fini, regrette Gianni Marcarini. Aujourd'hui les cyclistes s'habillent tous en noir. » C'est pour ça qu'il s'est spécialisé dans le maillot vintage : Molteni, Brooklyn, Peugeot, etc.
Pour autant, l'affaire périclite doucement. Il a perdu « 80 % de [son] chiffre d'affaires. » La faute au prix du gasoil, et à la concurrence chinoise sur internet. Et puis, « les gens achètent moins. »
Josh Randall, chasseur de primes
La mode vintage lui évoque l'époque où, coureur lui-même, il côtoya les plus grands. Parmi un flot intarissable d'anecdotes savoureuses qu'on trouvera bientôt dans sa biographie, il y a celle, fondatrice, du jour où il réclama son maillot à Merckx en personne.
« C'était en 72 ou 73, Merckx sortait du Tour d'Italie qu'il avait gagné et, normal, il était cuit de fatigue. On se retrouve tous les deux devant. Moi, j'allais vite au sprint mais pas question de faire le con, la vedette c'était lui. On se met d'accord sur un prix, et puis j'ajoute "Tu me donneras aussi ton maillot !" Ce maillot, je ne l'ai plus, mais quand je pense à ce qu'il vaudrait maintenant... », soupire-t-il.
Italien de naissance, ajusteur de formation, Marcarini fut pro une dizaine d'années. Sa pointe de vitesse et son pragmatisme le firent surnommer « Josh Randall, chasseur de primes ». Avant même de passer pro, en 1959, il se fabrique un faux dossard pour prendre le départ du Grand Prix d'Antibes et avoir « le bonheur de rouler à côté de Coppi. Comme mon numéro était bidon, ma place de 4e est revenue à quelqu'un d'autre ! »
« Je me suis accroché à la voiture d'Annie Cordy »
Il se souvient aussi « avoir fait gagner un Dauphiné à Poulidor. Raymond avait une quinzaine de secondes de retard au départ de la dernière étape. Je me suis accroché à la voiture d'Annie Cordy dans le dernier col et là-haut, j'ai pu faire la descente à bloc pour Poupou, qui avait largué l'Espagnol. »
Gianni a gagné beaucoup de « petites courses, pour autant qu'il en existe. » Sa plus belle victoire reste le Grand Prix de Plouay en 1970. Mais alors, « il y avait de quoi vivre pour les coureurs comme moi. On distribuait beaucoup de primes dans les critériums, un fric fou », se souvient l'un des derniers ambassadeurs du cyclisme des années 70.