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Figurines Roger : petits coureurs pour grands enfants

Connue pour ses mythiques figurines de cyclistes, la fonderie Roger en produit toujours 25 000 chaque année. (F. Mons/L'Équipe)
Connue pour ses mythiques figurines de cyclistes, la fonderie Roger en produit toujours 25 000 chaque année. (F. Mons/L'Équipe)

Hors du temps, indifférente aux modes, la fonderie seine-et-marnaise Roger continue de fabriquer ses mythiques petits cyclistes en zamak selon un savoir-faire ancestral. Hommage à une manufacture comme on n'en fait plus.

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À la fonderie Roger, les fétichistes des petits coureurs sont légion. Cette PME familiale (14 salariés) acceuille chaque année un grand nombre de passionnés venus des quatre coins de l'Hexagone. Les curieux, Véronique, la secrétaire, les accueille avec le sourire. Certains, souvent des vieux messieurs, sont venus exprès étancher leur nostalgie. D'autres, partis pour une sortie vélo entre copains, se sont laissé porter jusqu'à Égreville, bourgade à la pointe sud de la Seine-et-Marne, avant de repartir avec leur petit cycliste miniature.

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«À l'origine, mon grand-père Henri, tourneur-fraiseur de formation, s'était lancé dans la fabrication de soldats de plomb, resitue Jean-Luc Roger, PDG de la boîte jusqu'en 2017, revenu spécialement jouer les guides. Juste après la Seconde Guerre mondiale, il a eu l'idée de fabriquer des petits coureurs dans une nouvelle matière, le zamak, un alliage à base de zinc. C'était un entrepreneur, pas un cycliste».

Mais un visionnaire, grâce auquel tous les gamins des années 1950-1960 ont nourri leur imaginaire, en collectionnant et s'échangeant des miniatures baptisées selon les héros du moment : «Bahamontes», «Gaul», «Anquetil». Assurément un des plus grands succès de l'histoire du jouet.

Les figurines de la fonderie Roger font partie des plus grands succès de l'histoire du jouet. (F. Mons/L'Équipe)
Les figurines de la fonderie Roger font partie des plus grands succès de l'histoire du jouet. (F. Mons/L'Équipe)
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Noms de code : « R », « P » ou « D »

De son enfance, Jean-Luc conserve des souvenirs de profusion : des petits cyclistes partout, à peine refroidis de leur bain à 400 °C, tout juste sortis des moules métalliques confectionnés par pépé Henri. Les célèbres séries «R» (comme rouleur), bien sûr, mais aussi les « vainqueurs » bras levés, les « buveurs », assoiffés tétant le bidon, les «P» (comme plat) avec deux positions, «sprinteurs» et «danseuses», ces grimpeurs partis à l'assaut des cols, ou encore les «D» comme démontable. Au plus fort de l'engouement, vers 1965, 400 000 pièces sortaient chaque année de la manufacture francilienne. Production industrielle, finition artisanale.

« Les modes changent, les enfants aussi »

Mais au milieu des années 1980, Jean-Luc Roger a failli arrêter tout court. La fonderie se tournait vers d'autres marchés, plus porteurs, sous-traitait pour l'industrie automobile. Ringardisés, les petits coureurs. «Les modes changent, les enfants aussi. J'étais attaché à ces souvenirs du grand-père, mais c'était trop d'emmerdes» Sans l'intervention d'un certain monsieur Larzul, un prothésiste dentaire à la retraite épris des miniatures Roger, le patron aurait tourné la page. « Il m'a appelé : "N'arrêtez pas ! Vous feriez trop de malheureux. Vos petits coureurs, je veux bien les peindre. Confiez- les moi !'' Alors, j'ai continué»

Jean-Luc Roger, PDG de la fonderie jusqu'en 2017 et Jérôme Pétin, actuel directeur commercial. (F. Mons/L'Équipe)
Jean-Luc Roger, PDG de la fonderie jusqu'en 2017 et Jérôme Pétin, actuel directeur commercial. (F. Mons/L'Équipe)

Aujourd'hui, la fonderie Roger ne sort «plus que 25 000 petits coureurs par an», évalue Jérôme Pétin, l'actuel directeur commercial. Cette activité assez saisonnière qui fonctionne bien à Noël représente 1 % du chiffre d'affaires. La société crée avant tout des pièces en zamak ou en plomb pour le bâtiment, les cosmétiques, le nucléaire, l'armement. « Ce n'est plus notre coeur de métier, mais notre métier de coeur », résume joliment Jean-Luc, qui a revendu son affaire en 2017 à un repreneur soucieux de respecter les valeurs et la tradition de la fonderie.

Le « gros nez », Graal des chineurs

Courus dans les brocantes, les plus rares figurines se négocient au-delà de 100 euros l'unité. Longtemps, le fameux «gros nez» a constitué le Graal des chineurs. Ces quelques coureurs affublés d'un pif en forme de patate sortaient « d'un moule mal fait, reprend Jean-Luc. Les fans me les réclamaient sans cesse». Un beau jour, au hasard d'un grand nettoyage, Jean-Luc a fini par mettre la main sur la machine défectueuse, rendue à la poussière du grenier. «Je l'ai aussitôt remise en service pour confectionner une série de mille !» Le tarin boursouflé a pour nom de code «LN» (long nez). On aime les initiales dans la famille.

Les « ros nez », qui font partie des plus rares figurines, se négocient au-delà de 100 euros l'unité. (F. Mons/L'Équipe)
Les « ros nez », qui font partie des plus rares figurines, se négocient au-delà de 100 euros l'unité. (F. Mons/L'Équipe)

Désormais, Roger se maintient, hors des modes et du temps, mobilise sa communauté de fidèles avec des concours photos insolites, gâte les plus fervents en sortant ponctuellement des coffrets fabriqués à 100 exemplaires. Ainsi le porté disparu Festina 97, mais aussi Bic 73 ou Peugeot 77, enluminés par Sébastien.

Retrouver la saveur d'antan

Si la peinture des modèles standards est désormais effectuée en Chine, après une escale en Tunisie (monsieur Larzul est décédé), les circuits de distribution n'ont pas changé. L'entreprise n'a jamais souhaité traiter avec les supermarchés, pour ne pas brader ses petits coureurs. Ni investir les plateformes de vente en ligne.

« La seule façon d'acheter sur Internet est donc de se connecter sur notre site »

«Si nous allons sur Amazon et que le produit rencontre le succès, nous ne serons plus en mesure d'assurer les volumes d'il y a quarante ans, expose le directeur commercial. La seule façon d'acheter sur Internet est donc de se connecter sur notre site.» Pour les voisins et/ou pèlerins, la vente directe demeure un bon plan.

Mais pour retrouver la vraie saveur d'antan, mieux vaut se rendre chez un de ces soixante détaillants, fidèles au poste depuis des décennies, un réseau bichonné par Jérôme Pétin. Autrefois, on trouvait les Roger uniquement chez ces marchands de jouets, approvisionnés en grosses boîtes de cinquante dans lesquels les mômes piochaient au petit bonheur un « R », un « P » ou un « D ». Tous sont encore disponibles.

Seule concession à l'époque contemporaine : un nouveau venu, apparu en 2016. Le « M » (pour moderne). « Regardez, il porte un casque, il se conforme aux règles de sécurité ! », s'amuse Véronique. Euphémisme : le « M » peine à trouver son public. « Je comprends tout à fait, concède Jean-Luc, beau joueur. Un petit coureur doit avoir un aspect à l'ancienne, donc être coiffé d'une casquette. »

publié le 29 octobre 2019 à 16h27 mis à jour le 29 octobre 2019 à 17h03
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