Brièvement panoramique, une falaise en surplomb de la mer, le plan se resserre aussitôt. Alors, sous le bonnet noir qui les encadre, ses petits yeux calmes et inquiets scrutant le large occupent tout l'écran. La lumière du couchant, pas toujours si douce qu'on le dit, enflamme avec la peau sèche et rougie la cartographie complexe des rides. Rien n'est plus nu que le visage : voilà le premier enseignement du beau documentaire que La Bordure consacre à Davide Rebellin, Il vecchio saggio.
Rebellin, 25 saisons pro
« Vieux sage » de 47 ans, Rebellin vit sa dernière saison de coureur professionnel (il va raccrocher après les championnats d'Italie, le 30 juin prochain). Il vit ainsi sa 27e saison, mais il n'intéresse presque plus personne. Il est vrai qu'à cette interminable carrière il faut retrancher deux ans, deux années de suspension consécutive à un contrôle positif à l'EPO Cera en 2008.
Il faut bien dire qu'à une époque où priment pulsion, spectacle, et bavardage, Rebellin n'est pas sexy. Il parle peu, il est timide, il est pieux (ou le fut, assez en tout cas pour qu'on le surnomme « l'enfant de choeur »). Son mode de vie est monacal, et il est porté sur l'introspection au point d'avoir tenu un journal où une sorte d'inclination stoïcienne le poussait chaque soir à consigner sa journée. Il n'est même pas, signe suprême de marginalité, narcissique. « Il ne raconte pas ses exploits », dit Laurent Evrard, de vingt ans son cadet et son coéquipier chez Sovac.
En effet, lui qui a connu les honneurs du plus haut niveau mondial court désormais, et les derniers jours de sa carrière sont comptés, dans une équipe sans moyens, sur un vélo modeste. Il y a dans son comportement une envie d'accomplir une mission. Il parle de l'air et des lieux qu'il respire, il parle de son régime.
« Il ne raconte pas ses exploits »
Pourtant cette timidité - qui fait dire si joliment au journaliste de l'Équipe Philippe Brunel que Rebellin roule sa propre route solitaire et « qu'il est mieux là que parmi les hommes » - fait écran à une grande lucidité : l'âge, ce qu'il en apprend, ce qu'il en attend, Rebellin est capable d'en parler et, mieux, de le faire sentir. Avec ses airs de bonze, l'ascète Rebellin évoque un homme réfugié en lui-même, et qui y travaillerait comme à la cave, comme occupé à dégager, à mettre au jour, à exprimer ce que le sol lui livrera.
Mais, ne spoilons pas. Téléchargez plutôt le film sur le site de La Bordure, qui en propose bien d'autres assez inclassables. Portraits de coureurs pros ou amateurs, actifs ou reconvertis (de Guillaume Martin avec Philosophie d'un grimpeur, à Laurent Roux dans Changement de Roux, immersions dans le quotidien d'une équipe en course (Allez Jean) ou dans l'intimité plus psychique d'un coureur (Bande de Sauvage) : des angles variés mais des films qui tous s'interrogent sur « ce que c'est que d'être coureur cycliste ».