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Stéven Le Hyaric, des courses à la traversée de l'Himalaya népalais à vélo

(Pehuen Grotti) (
(Pehuen Grotti) (

Le vélo est une forme de méditation, dans l'effort on cherche à s'oublier. Depuis qu'il a compris cela, Stéven Le Hyaric a tourné le dos à la compétition pour se consacrer à une quête plus spirituelle, associant un besoin d'aventure personnel et la cause humanitaire. Après avoir parcouru l'Himalaya népalais à vélo (et vélo sur le dos), le voici sur le point de traverser les déserts les plus inhospitaliers d'une planète au devenir incertain.

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Il était assez bien fait pour ça, la course cycliste. Il avait de bonnes jambes et assez de tristesse en lui pour les employer à expier ses tourments, ses fautes supposées. Il pédalait depuis l'enfance, qui ne lui fut pas tendre, avec le sentiment délicieux de rompre en plein vent ses premières entraves, d'échapper à ses premières noyades affectives. Mais les démons qu'on fuit de la sorte sont plus ou moins vigoureux, plus ou moins endurants eux-mêmes, et il faut aller vite et fort pour qu'ils ne vous accrochent aux chevilles.

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L'adieu aux armes

Ainsi Stéven Le Hyaric est-il devenu coureur élite. Ainsi empila-t-il à force de brillants résultats quelques saisons, jusqu'au seuil du professionnalisme. C'était ignorer que l'art de la fugue génère autant de tourments qu'il en apaise, et que repousser ses angoisses n'est pas encore vivre. Bref, il était malheureux, et toujours aussi furieux, dans ce corps performant mais dénué de sens, dans cette culture où le dépassement physique n'est qu'à lui-même son propre but.

Alors il a pété les plombs. Il a tiré une brusque révérence, et il s'en est allé s'asseoir sur les bancs de l'EFAP, une école communication reconnue. Là, l'enfant de La Courneuve autrefois rudoyé par ses pairs à l'école, malmené aussi par la relative apathie d'un père, élu communiste, trop préoccupé du bien social pour ne pas négliger la détresse de son fils, excella une nouvelle fois, sans pour autant se sentir « à sa place ». « C'était pas ma maison », dit-il. Communisme, communication : les liens filiaux comme ils vont !

Stéven Le Hyaric, lors de son périple au Népal. (Pehuen Grotti)
Stéven Le Hyaric, lors de son périple au Népal. (Pehuen Grotti)
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Diplômé, il monte sa boîte et fait un temps commerce de fixies, puis devient chargé de communication pour la fédération française de triathlon. S'y engage corps et âme. À défaut de son propre récit, il bâtit le mythe grandiloquent des athlètes dont il a charge d'image. Il est si impliqué qu'on lui suggère parfois de « baisser son niveau émotionnel ». Dans cette fièvre volontaire il va jusqu'aux Jeux de Rio en 2016, où il vit durement l'échec de Vincent Luis à remporter une médaille. La vérité, c'est qu'à nouveau il est rattrapé par ce sentiment de l'absurde que lui inspire le sport professionnel scientifisé à l'extrême, c'est qu'à nouveau il étouffe, et qu'à nouveau il démissionne.

Plus largement, c'est sans doute qu'il est de ceux qui se cherchent un rôle ici-bas, une existence plutôt qu'un métier. Il veut pas faire carrière, il veut sauver le monde. Cette naïveté inoxydable et bien astiquée nourrit un désir humanitaire alors, sur les conseils de son « frère » Erwann Menthéour ( « Casse-toi ! »), il s'envole une première fois pour le Népal, sans billet de retour.

De la méditation à la Passion

Il reste quatre mois à Katmandou, où il consacre l'essentiel de son temps à enseigner auprès d'enfants des quartiers pauvres, qui le surnomment Monsieur Superman à cause de son imposante stature. Katmandou où il fait deux expériences majeures : l'alpinisme et le monastère. Il gravit ses premiers sommets à 6000 mètres, et il découvre le Vipassana. Deux fois durant son séjour, il s'imposera ces dix jours de méditation silencieuse : dix jours sans prononcer un mot, dix jours à observer s'apaiser le désordre de son esprit. Et dont il dit être ressorti « transformé ». De retour à Paris « je me prenais pour le Dalaï-Lama. Et pourtant, j'ai immédiatement eu peur de rester trop longtemps : peur de redevenir ce que j'étais avant. » C'est-à-dire : un enfant triste et en colère.

Stéven Le Hyaric a traversé l'Hymalaya népalais en 51 jours. (Pehuen Grotti)
Stéven Le Hyaric a traversé l'Hymalaya népalais en 51 jours. (Pehuen Grotti)

Il n'a donc de cesse de mettre sur pied un nouveau motif de départ. Et pour lui, joindre les deux bouts de cette histoire, boucler la boucle, renverser les fatalités et prendre une revanche généreuse, c'eût été d'emmener des enfants de La Courneuve, ceux-là même dont il aurait aimé qu'on le protège autrefois, jusqu'au camp de base de l'Everest. Mais il peine à réunir l'argent suffisant. « Les enfants de banlieue n'intéressent plus personne, regrette le cycliste. Ou alors des producteurs qui voulaient un trash-show, genre "Les Marseillais à l'Everest" » 

Qu'à cela ne tienne, il partira seul, et lèvera des fonds sur-place, pour les écoles locales, celles-là mêmes qu'il a découvert lors de son premier séjour, et à qui il a promis de revenir pour réparer le toit. Avec France Info pour partenaire, à qui il a promis quelques images chaque jour, il se lance dans le GHT, le « Great Himalaya Trail ». Un projet un brin dément, il faut le dire. À pied, il faut 150 à 170 jours pour parcourir cette trace de 2000km à travers l'Himalaya népalais. Lui, c'est à vélo et en 60 jours, qu'il prévoit de venir à bout de la distance, des 90 000m de dénivelé positif et des vingt cols à plus de 5000m. Parti de la région du Kanchenjunga à l'Est, en compagnie d'Ngawang Dawa, sherpa féru de VTT, et de Pehuen Grotti, caméraman aguerri aux conditions extrêmes, il rejoindra la ville de Hilsa, à la frontière tibétaine, après seulement 51(!) jours d'efforts acharnés.

De l'aube au crépuscule, dans une solitude tour à tour tropicale et glacée, ils avancent là où leurs roues ne passent pas aussi bien que kiangs (des ânes sauvages) et antilopes. Dans des paysages déchirés et grandioses, dans l'aveuglement et l'asphyxie de l'altitude, ils portent donc leurs vélos, telles d'étranges croix à deux roues accrochées dans leurs dos. Sa quête spirituelle prend ici les allures d'une Passion. Homme-machine, il est d'ailleurs reçu comme une sorte de demi-dieu dans les villages où ils accostent parfois pour la nuit. Les roues de 29 pouces et l'amortisseur de la fourche font les délices des enfants et des moines. Il achève son périple épuisé et ému, exalté et écrasé par l'immensité du monde et le dénuement des hommes. Comment vivre « normalement » après ça ?

Circularité de l'ego

De fait, il peine. La veille de notre rencontre, il a pleuré devant le film « Capharnaüm ». Descendu de son olympe népalaise, le voilà à nouveau parisien depuis des mois. Beau gosse, cheveux remontés et tirés en catogan, barbe fournie et soignée ouverte par la lame blanche du sourire, tatoué et baraqué. Un sans faute pour son époque. Or, précisément, il en est très conscient, toute sa quête consiste à se dégager de ce piège qu'est l'irréfragable besoin de paraître de ceux qui ont attendu, bouche ouverte, l'approbation du Père. Il est friand d'aphorismes, il connaît le mot de Nietzsche, ce merveilleux pourfendeur de la névrose occidentale : « Celui qui se méprise se prise encore de se mépriser ». N'empêche : méditer, vouloir sauver le monde, il n'en démord pas, il ne voit pas mieux à viser ! Quant à espérer en être aimé en retour, qui aurait le coeur, ou l'esprit d'ailleurs, à le lui reprocher ?

Stéven Le Hyaric sait mieux que quiconque combien le projet du Zen est irréalisable : s'oublier, abandonner toute visée personnelle, s'abandonner à quelque principe d'action impersonnel et supérieur. Mais, vouloir ne pas vouloir, c'est encore vouloir. Alors, pris dans cette absurde circularité de l'égo à laquelle nous sommes condamnés, pourquoi ne pas au moins, lui donner noble, ou moins ig-noble, forme ?

Stéven Le Hyaric n'a pas terminé de visiter le monde à vélo. (Pehuen Grotti)
Stéven Le Hyaric n'a pas terminé de visiter le monde à vélo. (Pehuen Grotti)

Une saison en enfer

Il repart cet hiver. C'est la Terre qu'il veut sauver, et notre attention qu'il veut atterrer. Le nouveau projet se nomme « 666 », et la désignation du maléfique fait signe vers le changement climatique, la modification brutale des écosystèmes et l'environnement inhospitalier qui remplacera bientôt le nôtre, si nous n'y prenons garde immédiatement.

Traverser six déserts, six enfers, en six mois sur six continents : un Paris-Dakar pour commencer, simultanément au déroulement du rallye, puis Islande, Pérou, Mongolie, Australie, Antarctique. Souffler dans le froid et le chaud. Entre nuits glaciales et jours brûlants, endosser à vélo l'avenir possible de l'humanité.

Pour l'heure il finalise, il fourbit ses outils et ses partenariats, car bien sûr il s'agira de partager l'aventure, d'apparaître quotidiennement, tout en brûlures et engelures s'il le faut, sur les écrans qui ont remplacé les lignes de notre main. À l'enfant triste et en colère qu'il est toujours, on ne peut que souhaiter d'y achever sa mue. Parce qu'on le soupçonne d'y trouver un certain goût, c'est encore une citation qu'on ajoutera à son viatique. Elle est d'un fugueur célèbre : « Allons ! La marche, le fardeau, le désert, l'ennui et la colère. » Une saison en enfer ?

publié le 8 novembre 2018 à 16h15 mis à jour le 28 novembre 2018 à 17h22
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