Mécanismes mania
Tout commence par cela : l'amour des beaux mécanismes. Depuis toujours, je cherche à comprendre comment tout fonctionne. Les biotopes, l'interdépendance avec les animaux... Je documente, je décortique. Aujourd'hui encore, quand je pars photographier une espèce, je l'étudie, je veux la connaître en détail. Comment chasse-t-elle, comment se déplace-t-elle, etc. Avant, j'étais dans les concepts métriques. Je baignais dans l'univers des instruments de mesure. J'avais ma propre société de balances électroniques, une société créée dans le Var après avoir travaillé avec mon père dans ce même domaine durant plusieurs années. Un peu comme tout le monde, je rêvais de prendre sa suite, alors je l'ai fait. J'ai créé ma propre structure et ça a très bien fonctionné. Je menais une vie confortable jusqu'à ce que, en 2010, je décide de changer radicalement. J'ai tout laissé derrière moi, j'ai passé un monitorat de plongée et je suis parti avec un sac à dos et un caisson pour mon appareil.
Le voyage initiatique
Installé dans le Sud, j'ai passé tant d'années à longer la mer en partant travailler. Chaque jour, je me disais que c'était un jour de plus perdu, un jour loin d'elle. De plus en plus souvent, je pensais à stopper ma vie rythmée, tracée, routinière. Le processus s'est fait en douceur, ça a pris un peu de temps, mais j'ai fini par trouver une personne capable de reprendre ma société. J'ai passé mon brevet d'État de plongée au Creps d'Antibes. Puis tout s'est enchaîné. Je n'avais pas peur, je gardais à l'esprit ceci : je vais partir, la fleur au fusil, et je vais peut-être revenir la queue entre les jambes. Ce n'est pas grave. Il suffit de courage et de travail pour rebondir et faire autre chose, ça je l'ai bien compris, la vie de dirigeant d'entreprise me l'a plusieurs fois enseigné. Donc, j'y vais, je fonce tenter cette vie dont je rêvais petit. La mer, les animaux sous-marins, l'exploration...
À l'époque, tous ceux à qui j'explique que je vais vivre de petits boulots me parlent de suicide professionnel. Moi, je m'envole pour les Galápagos, seul. C'est une révélation. J'y passe trois mois ; on est en 2012. Je suis libéré de mes contraintes professionnelles, je veux apprendre dans ce coin du monde extraordinaire où les conditions ne sont pas simples. Je passe mes journées dans l'eau, c'est une école de photographie folle. Je combine avec des missions de moniteur de plongée mais les clubs m'embauchent surtout pour faire des photos.
Après les Galápagos, je file au Mexique. Puis les destinations s'enchaînent : Honduras, Californie, Hawaï, Indonésie, Philippines... À chaque étape, je travaille ma pâte. Je suis totalement autodidacte, je n'ai pas pris un seul cours de photo dans ma vie. J'ai lu des bouquins, j'ai appris dans l'eau. Ce qui compte pour moi depuis le début, c'est de retranscrire exactement les scènes et les émotions dont je suis témoin sous l'eau, le plus naturellement possible. Doucement j'améliore mes techniques de plongée, ma post-production aussi, et je m'aperçois qu'un style apparaît. Mes images dessinent la personnalité des animaux que je rencontre, elles racontent leurs émotions et les miennes aussi, ressenties en interagissant avec eux. Certains parlent d'énergie, je préfère le mot « émotion ».
Dans le silence, l'abondance
À la seconde où l'on plonge, on bascule dans un autre monde : celui du silence. Déconnecté de notre univers de surface, direction nos entrailles. C'est un retour aux sources, il n'y a plus de téléphone, plus d'internet, plus rien. Là, je me sens bien. Le monde sous-marin est très beau, très dur aussi, mais on est prévenu : quand on croise un requin, on sait qu'il peut être dangereux. Tout fonctionne de façon franche, sous l'eau personne ne peut tricher. Descendre doucement et s'enfoncer dans les profondeurs provoque une sensation de bien-être, les barrières s'effacent et rien n'oppresse ni compresse.
L'apesanteur agit. Aussi, on a tout sous les yeux. Je m'explique : si un photographe animalier travaille en montagne, par exemple, il doit passer des heures à marcher, se cacher, et souvent il rentre sans avoir réussi le cliché qu'il convoitait. Dans le monde sous-marin, les interactions fusent : corail, poissons, ils s'approchent très près de moi. La vie est tonitruante, les couleurs, le mouvement... J'aime les interactions avec les gros animaux, les baleines, les requins aussi, avec lesquels j'ai passé beaucoup de temps pour faire un livre. J'apprécie aussi le monde du petit, la macrographie, tout ce qu'on ne voit pas au premier regard, mais en creusant. Je travaille en ce moment sur le plancton, un monde du petit incroyable où l'on retrouve toute la palette des comportements, du camouflage à la reproduction.
Partager l'énergie
La mer m'a beaucoup apporté, j'essaie simplement de renvoyer l'ascenseur. Je tente de montrer la beauté de son univers. Quand j'ai débuté, mon intention était de sensibiliser les gens. Aujourd'hui, je suis plus radical : on n'en est plus à la sensibilisation, il faut passer à l'action. Au début de cette année, j'ai rejoint une expédition en Antarctique. Nous avons tout fait en bateau pour générer le moins d'impact possible. Notre voyage a été complètement chamboulé par les dérèglements climatiques : le mauvais temps, les décalages dans les timings de la fonte des glaces, et les cycles de la vie qui en paient les conséquences.
La reproduction des manchots Adélie avait un mois de retard. Autre chose : dans l'eau, je croise de plus en plus de petits bouts de plastique désintégrés, et aussi, c'est une évidence, de plus en plus de gens posent le pied dans les coins du monde les plus reculés. Un tourisme de masse qui n'arrange pas le tableau. Alors, même si je sais bien que j'incarne une forme de contradiction car je voyage tout le temps, j'essaie de passer à l'action. Mon discours évolue : aucune politique ne changera la donne, ce sont nos gestes, nos actions, nos manières de consommer qui peuvent influer.