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Souvenirs Majeurs partie 4 : Quand Pebble Beach m'a ensorcelé

Pebble Beach comme théâtre d'un premier Majeur en carrière ? Pas mal comme première fois... (R. Beck/AFP)
Pebble Beach comme théâtre d'un premier Majeur en carrière ? Pas mal comme première fois... (R. Beck/AFP)

Les reporters du Journal du golf plongent dans leur boîte à souvenirs et en ressortent leurs meilleurs moments. Aujourd'hui, l'US Open 2010 à Pebble Beach avec Grégory Havret. L'histoire d'une première fois partagée.

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Il paraît qu'on se souvient à vie de sa première fois. Et dans un sens, c'est plutôt vrai. Ma première sur un Majeur masculin, c'était à l'US Open 2010, à l'autre bout du continent américain et sur un parcours du genre cathédrale gazonnée. Filer vers Pebble Beach pour enclencher son compteur en Grand Chelem... Rien que cette simple juxtaposition de mots mérite de figurer au panthéon perso des « moments dont on osait à peine rêver et qui sont pourtant bien réels, là tout de suite ».

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Les 11h de vol saupoudrés de quelques centaines de miles de voiture pour relier Carmel depuis San Francisco ont été avalés à l'adrénaline. Pebble est un aimant à golfeur passionné, il faut filer illico vers le parcours ! O.K., les yeux ne demandent qu'à se fermer en cette fin de première journée. Mais les pupilles façon lapin prit dans les phares d'une auto en pleine nuit sont pleinement dilatées sur ce départ du 18. Dur de ne pas profiter (qui a dit abuser ?) de ce sésame qui pend autour du cou avec ce mot presque magique : « press ». Alors on passe les cordes et on déambule sur le départ... La lumière est irréelle. Le regard se perd vers l'océan pacifique.

Le départ du 18 de Pebble Beach (M.Coulomb/DR)
Le départ du 18 de Pebble Beach (M.Coulomb/DR)

Il n'y a pas grand monde sur le parcours ce soir-là, à part quelques greenkeepers et deux frenchies fous de golf (Ben, l'acolyte de toujours, et moi) en plein pèlerinage dans leur Mecque californienne.

Deux zozos un peu zinzins

Vrai qu'on est deux gamins dans ce monde aux tempes grisonnantes qu'est la salle de presse d'un Majeur de golf. Vrai aussi qu'on en profite, voire qu'on en abuse. On fourmille d'idées, de sujets, de vidéos. Et on se dit : « eh, une leçon en direct de l'US Open ce serait pas ouf ? » Amusant comme le fait de poser sur papier (ou sur écran) cette pensée paraît presque folle aujourd'hui. Pourtant, on se pointait bien au beau milieu d'un chipping green d'US Open vers Grégory Havret pour lui demander d'expliquer la façon qu'il avait de se tirer des roughs gloutons de Pebble.

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Comme à son habitude, « Greg » avait été emballé par l'idée, et notre passion souvent délirante. Pourtant, c'était sa première fois à lui aussi. Premier US Open, premiers pas aux États-Unis, première fois à Pebble Beach. Cette vidéo-là en disait long sur l'état d'esprit du Français à cette époque précise. Parce que prendre sur son temps de préparation en amont d'un Majeur pour une vidéo de leçon avec deux zozos un peu zinzins, fallait oser.

Virage de vie en vue

Cette semaine précise, « Greg » osait tout simplement. Il osait développer son golf sans retenue, il osait jouer les premiers rôles et grimper petit à petit en température au milieu des Mickelson, Scott, Woods... Le souvenir d'Havret au practice le samedi du tournoi en fin de matinée reste vif. Derrière lui, le gratin mondial. Devant lui, un Benoît Ducoulombier étonnement muet. L'entraîneur n'a pas grand-chose à dire tant son poulain swingue dans l'huile. On échange quelques banalités de practice comme on en a pris l'habitude.

Mais quelque chose dans le langage corporel de Grégory fait penser qu'il n'est pas qu'un feu de paille dans cet US Open. Il marche fièrement, il affiche cette décontraction non feinte qu'ont les plus grands. Caché derrière ses lunettes de soleil à monture blanche, on imagine un regard habité et une certitude que c'est SA semaine. On ne parvient pas à prendre la pleine mesure du virage de vie qu'est en train d'effectuer le Français. Mais il est aussi puissant que son birdie au 18 quelques heures plus tard pour jouer dimanche en avant dernière partie avec Tiger Woods.

Faire partie du clan

Ce dimanche-là, gros dilemme. On a qu'un brassard presse pour quatre bras. En gros, il va falloir qu'on se partage le sésame permettant de se glisser sous les cordes avec Ben. Je prendrai les 9 premiers, lui les 9 derniers. Le privilège de l'âge sûrement... Je garde encore précieusement en tête ce départ du 1. Le soleil est éclatant. L'ambiance vraiment électrique. Me voilà pour un premier US Open plongé dans le chaudron de Pebble Beach à attendre que Tiger Woods déboule avec sa meute de fidèles.

Je guette les moindres faits et gestes d'Havret déjà sur le départ depuis quelques minutes, pour raconter, pour témoigner et enrichir de futurs papiers. Étrange impression que celle de faire indirectement partie de son clan alors que je ne suis qu'un suiveur, qu'un témoin. Mais quelque chose fait sortir de cette réserve pro habituelle. Eh, on est peut-être à 18 trous d'un premier Majeur français dans l'ère moderne ! Non, je ne hurle pas autant que Jeff Lucquin littéralement possédé toute cette journée. Mais je bouillonne et je profite en tentant de rester le plus pro possible.

« Ça va mec, tout roule ? »

Les images se bousculent aussi vite que cette ultime journée a filé. Je revois Greg prendre l'honneur à Tiger dès le deuxième trou, comme si de rien était. J'entends encore la pureté de ses coups de fer. Je frissonne à l'approche de ce trou n°7, merveille absolue de par 3 tout en descente vers l'océan. Je revois ces quelques bateaux à l'eau, ce kayakiste profitant nonchalamment de la baie de Carmel pendant qu'Havret bataillait pour un tournoi Majeur. J'entends encore ce « ça va mec, tout roule pour toi ? » m'étant adressé avec le sourire par « Greg » au sortir du 8 après un nouveau départ au cordeau. J'avais tellement envie de hurler un truc genre : « Put... mais ça va tellement bien, Man  ! Je te suis à Pebble Beach sur une partie avec Tiger Woods que je vois en vrai pour la première fois de ma life  ! J'ai connu pire... »

Dans les cordes un dimanche à Pebble Beach ça ressemble à ça. (M. Coulomb/DR)
Dans les cordes un dimanche à Pebble Beach ça ressemble à ça. (M. Coulomb/DR)

Je vois encore le Rochelais taper la discut' avec Tiger le long du fairway du 9. Sur le moment, j'ai vraiment l'impression que tout ce théâtre, toute cette expérience n'est pas réelle. C'est une orgie golfique qui se déroule sous mes yeux, une orgie fleurant bon la bière et les hot dogs. Et je ne comprends pas totalement sa portée à mesure que je la vis. Bien sûr, elle aura un arrière-goût amer avec cette deuxième place finale du Français. Bien sûr, que j'aurai les boules pour Havret pendant cette remise des prix. Tout autant pour lui, que pour le papier dingue qu'on aurait pu en tirer. Mais quelle claque! Quel pied! Quel privilège d'avoir pu vivre au plus près ce moment d'histoire du golf français. Depuis, l'US Open garde toujours une saveur particulière à mes yeux. L'attrait de la première fois peut-être ?

publié le 3 avril 2020 à 16h38
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