En une fraction de seconde quand l'ultime putt tombe, le vertige est réel. Comme l'impression qu'il va falloir immanquablement sauter dans le vide sans trop savoir si le parachute va bien s'ouvrir. Comment mettre les mots justes sur ce qui se produit à Augusta ce dimanche d'avril 2019 ? Comment être même à la hauteur de l'événement historique qui se déroule à quelques mètres de ce centre de presse aux faux airs de Cap Canaveral ? Jamais une telle question ne s'était imposée sur les centaines de tournois couverts depuis toutes ces années pour le Journal du Golf.
Pourtant, Tiger Woods vient bien d'empocher son cinquième Masters après une semaine presque irréelle. Aucune peur de la page blanche, non. Tellement d'images, de sons, de sensations sont en tête, on aura largement de quoi raconter...
La peur du rendez-vous avec l'Histoire
Plutôt la frayeur de rater un rare rendez-vous avec l'Histoire du golf, et même du sport tout court, auquel sont convoqués plusieurs personnages. D'abord un gamin de 17 ans, scotché comme tant d'autres devant les commentaires ébahis du duo Lafaurie/Pascassio sur Canal+, vingt-deux ans plus tôt. Bien sûr, ce soir d'avril 1997, le gosse avait hurlé de joie et réveillé toute la maison en sursaut dans le même mouvement pour le premier Masters du Tigre. Tiger Woods nourrissait un feu incandescent chez cet apprenti golfeur qui ne jurait que par les casquettes noires à virgule et un golf agressif.
Et puis l'ado a grandi et laissé les clubs de côté au profit des stylos, sans pour autant oublier son rêve : voir un jour ce polo rouge sang remporter le Masters. Mais plus les années passaient, plus les cheveux grisonnaient, et moins il semblait accessible. Mettre un pied à Augusta il y a quelque temps était pourtant un premier pas vers la concrétisation de cette chimère. Mais Woods n'y brillait plus vraiment. Jusqu'à cette édition 2019. Jusqu'à ce 83e Masters. Jusqu'à ce dernier putt et cette explosion inédite de joie brute du carnassier ressuscité. Un moment paralysant pour le gamin incrédule, pour l'ado ébahi et le reporter chanceux.
Mon Graal atteint...
Et puis, sans prévenir, quand Woods a filé vers sa famille et enlacé longuement son fils, une larme a perlé. Pas sur la joue du champion, non. Sur celle d'un dernier personnage devenu lui aussi père de famille depuis quelques années. Moi quoi... Là, j'ai su que le rendez-vous ne pouvait plus être manqué. Parce que l'émotion prise en pleine figure était réelle. Elle était puissante, incontrôlable, inédite. Là, j'ai su que cette larme concrétisait LE rêve de ces quatre personnages qui n'en forment qu'un. Mon rêve. Et surtout que j'allais pouvoir être à sa hauteur.
Parce que c'est le Graal d'une profession passionnante que je touchais : raconter de folles histoires et retranscrire de puissantes émotions. Faire jaillir en un seul mouvement la passion du gamin, la fougue de l'adolescent, la curiosité du reporter et l'émotion du père. Partager ce genre de larmes vertes et rêver éveillé. Ça reste encore aujourd'hui vertigineux.