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Focus sur les fonds d'investissement à l'heure du rachat probable de Toulouse

Gerry Cardinale, fondateur du fonds RedBird, et -peut-être- futur actionnaire majoritaire du Téfécé. (G. San Martin/Bloomberg/Getty Images)
Gerry Cardinale, fondateur du fonds RedBird, et -peut-être- futur actionnaire majoritaire du Téfécé. (G. San Martin/Bloomberg/Getty Images)

Entré en négociations exclusives avec le fonds d'investissement américain RedBird Capital Partners, le TFC deviendrait en cas d'accord le quatrième club français contrôlé ou financé par un de ces nouveaux acteurs du football business en quête de rentabilité.

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Des propriétaires du 5e type

En près de 90 ans, le football professionnel français (1932) a vu ses modèles de propriété largement évoluer. Les clubs ont d'abord appartenu à de grandes entreprises comme Casino (Saint-Étienne), la Compagnie des Mines (Lens) ou Peugeot (Sochaux). À partir des années 1980, la figure de l'entrepreneur investisseur s'est imposée, par exemple à Montpellier (Louis Nicollin, 1974), Lyon (Jean-Michel Aulas, 1987) ou plus tard à Toulouse (Olivier Sadran, 2001) et Marseille (Frank McCourt, 2016) - dans ce dernier cas dans une logique proche des fonds.

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L'audiovisuel (Canal+ au PSG en 1991, M6 à Bordeaux en 1999) et les milliardaires (Pinault à Rennes en 1998, Rybolovlev à Monaco en 2011) ont également investi. En 2006, enfin, pour la première fois, un club français, le PSG, est passé sous le contrôle d'un fonds, Colony Capital, jusqu'en 2011 et sa cession à un fonds souverain (QSI).

Les fonds d'investissement étaient encore rares dans le football européen jusqu'à ces dernières années. Outre Colony Capital au PSG, les pionniers - également américains - se nomment Fenway Sports Group de John Henry, le patron des Red Sox de Boston (baseball) qui a racheté Liverpool en 2010, et Soros Fund Management LLC, bras armé du célèbre financier George Soros, actionnaire minoritaire de Manchester United depuis 2012. L'intrusion des fonds dans l'économie des clubs s'est désormais presque banalisée.

Un trio en Ligue 1

Dans le football français, ils sont présents à l'Olympique Lyonnais (le Chinois IDG Capital est actionnaire minoritaire depuis décembre 2016), chez les Girondins de Bordeaux (les Américains GACP et King Street ont racheté le club à M6 en juillet 2018, le second est seul à la barre depuis fin 2019) et, sous une autre forme, à Lille, où le fonds américain Elliott Management prête de l'argent depuis 2018 au club racheté par Gérard Lopez en février 2017 mais sans participation au capital.

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On pourrait aussi citer les promus Lorient et Lens, dont les propriétaires français, Loïc Féry (2009) et Joseph Oughourlian (2016), pilotent les fonds Chenavari et Amber Capital, mais leur investissement dans le football en est a priori découplé (holding patrimoniale pour l'un, structure dédiée pour l'autre).

Des approches sans suite ont récemment filtré. Peak6 Investments, basé à Chicago, a tenté de racheter l'AS Saint-Étienne en 2018. La même année, l'AS Nancy-Lorraine a cru pouvoir annoncer « un accord pour la vente du club à un fonds d'investissement américain » mais celui-ci n'est pas intervenu.

Rendre les clubs plus rentables avec l'objectif de les revendre plus cher

Bastien Drut, économiste chez CPR Asset Management

Les fonds d'investissement gourmands de football sont surtout des fonds de capital-investissement (private equity). « Il s'agit de fonds qui investissent dans des entreprises non cotées sur les marchés financiers, détaille Bastien Drut, économiste chez CPR Asset Management, auteur de Mercato : l'économie du football au XXIe siècle (Bréal, décembre 2019). Ils les restructurent afin de les rendre plus rentables avec l'objectif de les revendre plus cher au bout de quelques années, soit à un autre investisseur, soit en les introduisant en Bourse. »

À son arrivée chez les Girondins en 2018, Joe DaGrosa, le patron de GACP, avait admis être là pour « cinq ou dix ans » seulement. L'avenir - sans lui désormais - dira si le club, acheté 100 M€ à M6, aura été valorisé. A Paris, malgré les résultats sportifs en demi-teinte du PSG quand il le contrôlait, Colony Capital n'a pas perdu d'argent en six ans de présence et aurait même réalisé une plus-value à la revente du club à Qatar Sports Investments (80 M€). De même, la capitalisation boursière des 20 % de participation d'IDG Capital à Lyon, payés 100 M€ en 2017, a sensiblement progressé depuis lors.

« Le virus et la relégation du TFC ajoutent de l'incertitude sur la rentabilité future et devraient tirer le prix vers le bas »

Henri Philippe, associé au cabinet de conseil Accuracy

Même le Covid-19 ne semble pas refroidir les ardeurs des fonds puisque c'est dans un contexte économique difficile que Toulouse discute avec RedBird Capital Partners, actif notamment aux États-Unis dans la gestion des stades, le conseil aux sportifs et les chaînes régionales de sport. « Le virus et la relégation du TFC ajoutent de l'incertitude sur la rentabilité future et devraient tirer le prix vers le bas, estime Henri Philippe, associé au cabinet de conseil Accuracy. Même si l'aide aux relégués et la progression des droits télé - si elle se confirme malgré les huis clos - vont maintenir grosso modo le chiffre d'affaires [36 M€ en 2018-2019] l'an prochain, cela reste un pari. »

Jean-Luc Moudenc, le président (LR) de Toulouse Métropole, propriétaire du Stadium, prévient qu'il ne saurait « approuver une approche qui serait avant tout financière ». Il est vrai que la présence d'un fonds dans un club peut être très brève. En Premier League, Peak6 Investments, qui détient une participation minoritaire dans l'AS Rome et la totalité du club irlandais du Dundalk FC, a acheté 25 % du capital de Bournemouth à son propriétaire milliardaire russe Maxime Demine en 2015 et les lui a revendus à peine trois ans plus tard, culbute financière (non dévoilée) à la clé.

Dans son communiqué du 14 mai, le TFC prend soin de préciser que « RedBird fournit des capitaux flexibles et à long terme pour aider les entrepreneurs à développer leurs entreprises ». Une manière d'exorciser l'épouvantail d'un investisseur aux exigences de profit immédiat.

Les clubs français abordables

Sur la période récente, l'appétence des fonds d'investissement pour le football s'explique par sa nouvelle rentabilité après des décennies de déficit. Les profits réalisés par la famille Glazer, le propriétaire américain de Manchester United depuis 2005, ou les recettes XXL d'Arsenal après son transfert à l'Emirates Stadium (2006) ont aiguisé les appétits.

À raison si l'on considère que l'explosion des revenus des clubs, portée par la flambée des droits télé et du sponsoring, s'est combinée à la non moins spectaculaire envolée de la valeur des joueurs sur le marché des transferts pour installer le football parmi les produits financiers à fort potentiel. « Le foot est une industrie en pleine croissance et cela devrait durer encore longtemps », avançait Joe DaGrosa dans un entretien à notre journal peu avant de reprendre les Girondins.

Dans ce contexte porteur, les clubs français ont des atouts à faire valoir, comme l'excellence de la formation tricolore, qui se valorise sur le marché des transferts (la France est le deuxième pays exportateur de joueurs après le Brésil). Les énormes profits réalisés par Monaco grâce aux reventes de Kylian Mbappé et consorts ont inspiré le projet de Gérard Lopez à Lille fondé sur le « trading joueur » (achat et revente).

Pour les fonds, les clubs français ont aussi le mérite de rester abordables. Quelques mois avant le rachat de Bordeaux, les franchises américaines de soccer (MLS) étaient valorisées près du double en moyenne selon Forbes (190 M€ en 2017, près du triple -285 M€- en 2019). En avril 2017, des investisseurs chinois ont signé un chèque de... 740 M€ pour acheter l'AC Milan, tombé l'année suivante dans les mains d'Elliott Management quand ils ont été incapables de rembourser les prêts contractés auprès du fonds.

Autre illustration de l'inflation de la valeur des clubs : celle de City Football Group (CFG), la holding de Manchester City, s'est accrue de 60 % en quatre ans entre l'entrée d'intérêts chinois au capital en 2015 et le rachat de 10 % de l'entreprise en 2019 par le fonds américain Silver Lake pour environ 450 M€, valorisant CFG à 4,5 milliards d'euros. Avec leur surface financière, les fonds semblent aujourd'hui en position de force pour racheter les clubs vendeurs en Europe.

Le TFC américain ? « Trading » et « entertainment »
Comment enclencher la « nouvelle dynamique dans l'intérêt du club et de ses supporters » que promet le Toulouse FC à travers la vente du club au fonds américain ? Dans la 4e aire urbaine de France (1 345 000 habitants en 2016), connue pour son industrie aéronautique, le prix Nobel d'économie Jean Tirole et son club de... rugby, les idées tournent déjà plein régime.

Un proche des discussions évoque un développement du trading joueurs « à la Monaco », un art qu'Olivier Sadran maîtrise déjà très bien (le club affichait un bénéfice de 10 M€ au 30 juin 2019). Une autre piste consiste à transformer le Stadium (33 000 places) en « un lieu d'entertainment [divertissement] à la hauteur du pouvoir d'achat des ingénieurs d'Airbus » en s'appuyant sur l'expertise acquise par le fonds dans ses projets avec les Yankees de New York (baseball) et les Cowboys de Dallas (football américain).
publié le 28 mai 2020 à 10h52
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