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Esport - Fortnite : Les cinq travaux d'Epic Games

Kyle « Bugha » Giersdorg, champion du monde de Fortnite. (Epic Games)
Kyle « Bugha » Giersdorg, champion du monde de Fortnite. (Epic Games)

La Coupe du monde de Fortnite vient de s'achever et avec elle, ce qui ressemble à une première saison compétitive sur le jeu. Bilan et perspectives.

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Pas le temps de souffler. Une dizaine de jours après la conclusion de la première Coupe du monde de Fortnite, le jeu est déjà lancé sur un nouveau cycle : la saison 10 avec son lot de changements déstabilisants, la création d'un circuit - les Fortnite Champion Series -, la mise en place de tournois en trio... Il reste quelques millions de dollars à distribuer avant la fin de l'année, Epic Games n'a pas attendu avant de relancer la machine.

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Ces derniers mois, l'éditeur du jeu a progressé dans l'approche de la compétition - fini les mises à jour qui chamboulent le jeu 24 heures avant un tournoi - et le bilan de la Coupe du monde, qui a braqué les projecteurs sur l'esport tout entier, compte de nombreux points positifs : 40 millions de participants à travers le monde, des retombées médiatiques exceptionnelles, plusieurs millions de spectateurs sur les différentes plateformes de diffusion... Le potentiel du jeu - indéniablement un marqueur dans l'histoire du jeu vidéo - au sein de la discipline est immense, l'événement l'a prouvé. Mais il a aussi mis en lumière de nombreuses failles.

Le pouvoir de l'argent

C'est un point clé. En injectant des millions de dollars de récompenses dans ses différents tournois, Epic Games a déclenché une réaction logique que l'éditeur a du mal à assumer aujourd'hui : la rationalisation de son jeu par ses meilleurs joueurs, qui le dissèquent dans ses moindres détails. Au point, d'ailleurs, de considérer la part d'aléatoire comme anecdotique. Se voulant « fun », « à la portée de tous », Fortnite est aujourd'hui dominé par de jeunes élites qui ne le voient plus comme un passe-temps mais un travail demandant une implication totale, très rémunérateur quand on fait partie du gotha. Ce n'est pas un réel problème en soi : Epic Games a du cash, un public, veut avoir la main sur son circuit compétitif et permettre aux joueurs d'en vivre. Mais il existe encore un décalage entre l'attitude de ces derniers et ce que l'éditeur leur propose pour la compétition sur Fortnite.

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Conditions de jeu et intégrité

À New York, plusieurs joueurs ont fustigé les conditions de jeu, « pire qu'à Katowice ». En Pologne, certains avaient subi des bugs, des lags ou des déconnexions. Rebelote dans le stade Arthur-Ashe. Quand des joueurs s'entraînent autant pour conquérir un tel titre, quand il y a autant d'argent en jeu, leur offrir des conditions optimales paraît prioritaire. Sur le même sujet, les intra-auriculaires étaient interdits. En duo, sur un jeu où la communication est primordiale, équipés de simples casques audio, les joueurs entendaient plus les commentateurs que leurs coéquipiers. Enfin la présence de Damion « XXiF » Cook et Ronald « Ronaldo » Mach a installé un certain malaise. Accusés d'avoir triché pendant les qualifications et suspendus... deux semaines, ils ont pu retenter leur chance et valider leur billet en suivant les règles. Même si le doute persiste encore sur leur honnêteté. À New York, toutes leurs apparitions à l'écran ont été suivies de huées.

L'encadrement des jeunes

La Coupe du monde a eu une conséquence admirable : changer brutalement les vies de plusieurs gamins extrêmement talentueux. Celle de l'Américain Kyle « Bugha » Giersdorf (16 ans) évidemment, véritable virtuose champion du monde en solo (3 millions de dollars de gains) ou de l'Argentin Thiago « K1nG » Lapp également, cadet du tournoi (13 ans) au style ultra-agressif (5e en solo, 900 000 dollars de gains) mais si émouvant une fois la tension retombée, dans les bras de son père. Cependant ils ne doivent pas faire oublier que l'esport dans son état actuel manque cruellement d'encadrement, de structures éducatives, de balises pour permettre à des joueurs de 13 ans minimum de s'investir sereinement dans la discipline. Cette limite paraît peu responsable aujourd'hui. Epic Games n'est pas le premier concerné par ce chantier - les institutions publiques doivent s'en saisir - mais l'éditeur a son rôle à jouer.

Travailler avec les clubs

Epic Games ne semble toujours pas vouloir composer avec les clubs, pourtant des acteurs essentiels dans la professionnalisation des joueurs quand elles font leur travail. Ce n'est pas le cas de toutes, surtout sur Fortnite où des dizaines de micro-organisations ont vu le jour, mais l'éditeur doit apprendre à trier entre bons et mauvais élèves pour établir des relations saines. Bugha lui-même l'a rappelé dans une interview après son titre : sans la stabilité financière, le staff, l'encadrement apporté par son équipe (Sentinels), il n'aurait pas pu se concentrer sur le jeu. Pendant la Coupe du monde, l'affichage de certains logos et sponsors a été interdit, comme si l'éditeur voulait montrer au monde que les qualifiés pouvaient être « n'importe qui ». Une carrière, surtout sur un jeu qui évolue en permanence comme Fortnite, n'est pas une suite régulière de succès. Devenir professionnel passe aujourd'hui dans la majorité des cas par le soutien d'un club.

Diffuser Fortnite

Ce n'est pas nouveau, diffuser un Battle Royale comme Fortnite est un casse-tête : points de vue multiples, bouillie verticale en fin de partie, impossibilité de suivre le déroulement d'une manche autrement que par le kill feed (un live texte)... Même si la compétition en solo s'est révélée nettement plus agréable à regarder que celle en duo à New York, l'expérience fut globalement pénible. Mais Epic Games a testé de nouvelles choses en offrant la possibilité de suivre le point de vue de certains joueurs. L'avenir de la diffusion de la compétition sur Fortnite passe par là. La structure française Solary l'a prouvé en permettant aux spectateurs, pendant les qualifications, de ne suivre que ses joueurs, « leur aventure », rencontrant ainsi un net succès. Ne pas pouvoir le faire pendant la finale a généré beaucoup de frustration. Mais là encore, cela demande sans doute de travailler main dans la main avec les clubs, plus aptes à mettre cela en place.

Encore une fois, Epic Games progresse dans son approche du sport électronique. Si certains joueurs râlent, d'autres se contentent de l'état actuel des choses avec un certain fatalisme ou sont simplement satisfaits de pouvoir très bien en vivre aujourd'hui. Difficile de mordre la main qui vous nourrit. Et tout n'est pas à jeter : l'éditeur a distribué des millions à des associations caritatives avec les exhibitions « Pro-Am », paraît deux crans en avance sur les autres jeux sur la partie entertainment, sait redynamiser sa création quand il le faut... Mais malgré un jeu ultra skillé, « esport-compatible » dans son essence, la relation avec la compétition pure et dure est encore difficile. Un signal intéressant cependant : l'arrivée récente de Nate Nanzer, qui a en partie façonné l'Overwatch League, pour diriger le département esport d'Epic Games. La tâche paraît imposante. Mais pas insurmontable.

Le joueur suisse de Solary, Karim « Airwaks » Benghalia (à droite), vainqueur du Pro-Am à New York. (Epic Games)
Le joueur suisse de Solary, Karim « Airwaks » Benghalia (à droite), vainqueur du Pro-Am à New York. (Epic Games)
publié le 9 août 2019 à 18h02 mis à jour le 9 août 2019 à 18h58
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