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Stella Akakpo : « Je voulais dénoncer mais aussi trouver une solution »

Stella Akakpo a décidé de passer à l'action. (J.-P. Durand/L'Équipe)
Stella Akakpo a décidé de passer à l'action. (J.-P. Durand/L'Équipe)

La bouillonnante sprinteuse de 26 ans, sensible aux questions de discriminations sexistes et raciales, révoltée par la mort de l'Américain George Floyd, a décidé d'agir. Elle a monté en une semaine l'événement « We are great », destiné à mettre en lumière les femmes noires de tous les horizons.

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« Comment est né ce projet ''We are great'', que vous avez organisé à Paris le 28 juin ?
Cela faisait un moment que je souhaitais faire un projet autour de la femme, parce que c'est difficile en tant que femme de se faire une place dans la société. Et dernièrement, avec le mouvement BLM (Black Lives matter) et les manifestations, j'étais triste de voir des vidéos de dénonciation de violences policières, de racisme. J'ai appelé des copines pour en parler, je me suis interrogée, savoir comment je pourrais agir. Je voulais dénoncer mais aussi trouver une solution pour aider ma communauté à s'élever face à tout ce qui se passe.

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Je me suis dit, pourquoi ne pas inviter toutes les femmes noires que je connais, venant de différents milieux, différents corps de métiers, pour faire un événement, partager nos expériences, échanger. J'ai ensuite contacté des influenceuses impliquées dans le mouvement, des personnes qui se battent pour avoir un business, mais qui ne sont pas assez visibles. J'ai invité des avocates, des infirmières, des blogueuses, des chanteuses, des maquilleuses, des sportives... Je voulais aussi une journaliste noire qui avait créé son propre média. Et un ami photographe, blanc, très engagé pour la cause afro, a fait le shooting photo.

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J'ai fait une vidéo (sur Instagram le 21 juin) pour expliquer mon ressenti par rapport au mouvement BLM et mon projet. Je suis très impatiente, j'adore les défis et l'adrénaline, j'ai dit ''je fais ça ce week-end''. Je n'avais pas envie d'attendre telle marque ou tel média. J'ai fait des études d'événementiel et si j'ouvre mes livres, je suis complètement dans le faux, mais le coeur a pris le dessus. J'ai mis toute mon énergie. Aujourd'hui, on mène un double combat : être femme et être noire. À nous de nous aider à s'élever en partageant, en se créant un réseau.

« Combien de fois on m'a dit : '' les Noirs, vous n'êtes forts que dans le sport''. Jeune, je n'arrivais pas à répondre. Maintenant je réponds. »

Stella Akakpo

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Concrètement, à quoi ressemblait cet événement ?
Ça s'est déroulé en deux parties. D'abord, les filles avaient deux minutes pour toutes se présenter, ça permettait de casser la glace puisqu'elles ne se connaissait pas. Pour la deuxième partie, j'ai créé quatre ateliers, le but était que les filles en ressortent enrichies. Le premier était créatif, il fallait créer des affiches publicitaires sur des toiles sur les problèmes que rencontrent les femmes noires, le blanchiment de la peau, ou pour montrer les différents types de cheveux, ou sur l'éducation. Il y avait ensuite un atelier radio, où elles partageaient leurs expériences négatives en tant que femmes noires. Le but était de montrer qu'on n'est pas seules, on a toutes des histoires. Voilà ce qui m'est arrivé et voilà ce que j'ai répondu, comment je m'en suis sortie. J'ai ensuite imaginé un atelier débat animé par une journaliste à qui j'avais seulement donné des thèmes d'actualité récents : Black lives matter, George Floyd, et aussi comment faire évoluer les rapports entre les femmes noires, qui est aussi un problème dans notre communauté. Enfin, il y avait l'atelier shooting photo. Chaque fille a écrit ''I am great'' sur une affiche, suivi de son prénom, nom et de son activité, pour mettre en lumière toutes les compétences qu'on peut avoir.

En tant qu'athlète, qu'avez-vous fait passer comme message ?
En athlétisme on est jugé sur ce qu'on vaut, sur nos performances. Alors que dans le monde de l'entreprise, parfois, à compétences égales, on se présentera avec du retard. Avec toutes les discriminations qu'il y a aujourd'hui en France, qu'il ne faut pas nier, on est pénalisé. (...) Il y a toutes les phrases : ''T'es belle pour une noire''... ou sur les cheveux, la réussite : combien de fois dans les bars, on m'a dit : ''Les Noirs, vous n'êtes forts que dans le sport''. Jeune, je n'arrivais pas à répondre aux gens. Maintenant je réponds : si on est plus forts dans ce domaine-là, c'est peut-être que c'est le seul où on n'est jugé que pour ce que l'on vaut. Peut-être que si dans un entretien d'embauche, on ne regardait pas notre nom de famille, nos traits, nos origines, peut-être qu'on serait beaucoup plus représentés et qu'on dirait tout simplement qu'on vit dans un monde avec des noirs, des arabes, dans un monde meilleur. On est une génération influente, on a le pouvoir de dénoncer, d'entreprendre, de parler, pourquoi je ne le ferais pas ? En tant que sportive de haut niveau, je ne me permettrai pas de parler de politique. Mais pour moi c'était impossible de ne pas parler de ce sujet-là.

« Myriam Soumaré a été une réelle inspiration pour moi : voir une femme noire, de banlieue, voilée, exceller... »

Stella Akakpo

Quels retours avez-vous eu sur ce projet ?
Quand j'ai lancé le projet, j'ai reçu beaucoup de messages de personnes qui voulaient s'inscrire. On m'a dit que c'était étonnant qu'une sportive prenne la parole parce qu'on ne nous voit jamais ! Le sport est une voie d'insertion sociale et il faut s'en servir. J'ai invité Myriam Soumaré (championne d'Europe 2010 sur 200 m), j'y tenais beaucoup. Elle a été une réelle inspiration pour moi : voir une femme noire, de banlieue, voilée, exceller... À l'époque où on était concurrentes, je voulais la battre et je ne pouvais pas lui dire ça. Mais là, je lui ai dit et j'étais heureuse. C'est une femme engagée et il en faut plus des comme elle. Par cet événement, je veux toucher les femmes dans leur globalité, pas uniquement dans le monde de l'athlé.

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Paris 02 juin 2020

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Vous étiez à la première manifestation de soutien à Adama Traoré, début juin. Comment vous l'avez vécue ?
C'était ma première manif. J'ai beaucoup hésité à y aller. Certains ne viennent pas avec de bonnes ondes dans des manifs et là, pour moi, c'était un combat pour la paix. On revendique la justice donc on ne peut pas user de violence. Ce n'était pas recommandé d'y aller, mais je me suis dit que si je n'y allais pas, j'allais le regretter. C'est important qu'on se mobilise. Avec un ami, on s'est dit : on arrive à l'heure et on reste deux heures, pas jusqu'à la fin, car on sait que c'est là qu'il y a des débordements. Une fois là-bas, j'étais choquée. J'ai vu la France que j'aime : des familles, des personnes âgées, des chrétiens, des musulmans, des homos, des Blancs. J'ai l'impression de vivre ça en équipe de France, avec une forte adhésion chez les jeunes. On apprend à accepter l'autre. J'étais dans ma génération, avec des personnes semblables à celles que je fréquente, sans discrimination. Le message était fort. »

publié le 4 juillet 2020 à 12h24
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